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Alors, Monsieur Smotte...

« Alors, Monsieur Smotte… »

Christel Mariën

 

La pièce débute par des consignes communiquées en mode voix électronique, monocorde, style communication d’aéroport.

« Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite.

Nous vous prions d’éteindre vos capteurs du premier degré et d’allumer vos décodeurs humour.

Nous vous souhaitons une formidable soirée. »

 

ACTE  I

Comme chaque matin, Monsieur Smotte, politicien connu, débute sa journée en passant par l’épicerie de Melle Cerise. Melle Cerise, l’épicière, prépare son étal. A la radio, c’est le jingle du journal de 8 heures.

« Madame, Monsieur, bonjour. Bon réveil à ceux qui entament leur journée.

Les médecins généralistes sont en grève aujourd’hui. Un service minimum sera assuré dans chaque entité. 2000 médecins sont attendus vers 13h30 aux alentours du rond-point de la rue chocolat… »

 

Tout à coup, Melle Cerise s’empresse d’éteindre la radio car elle aperçoit Mr Smotte qui s’apprête à entrer dans son magasin.

-       Melle Cerise : Alors Mr Smotte, quelle est votre préoccupation ce matin ?

 

-       Mr Smotte : A vrai dire, ou plutôt à dire vrai, je, je…

 

-       Melle Cerise : Je vois, je vois…Vous hésitez encore…

 

-       Mr Smotte : Mais pas du tout, pas du tout Melle Cerise, je me préoccupe d’une affaire très importante, et même d’une importance qui me complique l’existence.

 

-       Melle Cerise : Ah bon,… et quel jour sommes-nous donc pour que vous eussiez subitement une existence compliquée ?

 

-       Mr Smotte : Comment ? Vous ne savez pas… mais c’est le jour de la manifestation…

 

-       Melle Cerise : De la manifestation, dites-vous ? Vous ne parlez quand même pas du petit cortège attendu cet après-midi. Voyons Mr Smotte, ce sera un petit cortège de rien du tout, tout au plus quelques petits intellos qui défileront pour se plaindre des restrictions budgétaires. Mais de vous à moi, il n’y a pas de secret que ce petit défilé ne nuira ni à vos vacances, ni à votre mode d’existence. Une fois le cortège terminé, tout redeviendra exactement comme avant, vous le savez aussi bien que …

 

-       Mr Smotte : Non, non, non, pas du tout…je ne le sais aussi bien que personne, personne, personne…

 

-       Melle Cerise : Mais enfin, que se passe-t-il ? Si je vous parlais de votre préoccupation matinale, c’est que vous m’avez habitué à vous préoccuper chaque matin d’un problème différent, de vous y atteler tout au long de la journée et de rentrer le soir en sifflotant, heureux d’y avoir apporté une solution …temporaire il est vrai, mais une solution quand même ! Vous verrez, ce soir, il n’y paraîtra plus, vous la tiendrez votre solution.

 

-       Mr Smotte : Vous êtes bien optimiste Melle Cerise…

 

-       Melle Cerise : Optimiste, vous y allez fort ! Si le petit cortège ne change rien pour vous, il ne changera rien pour nous non plus et il n’y a là rien de très réjouissant…

 

-       Mr Smotte : Que voulez-vous dire ?

 

-       Melle Cerise : Rien, rien du tout … Je dis que le changement est indispensable au progrès, que l’eau qui stagne est marécageuse et que si vous n’y prenez garde, vous risquez de vous enliser…

 

-       Mr Smotte : De m’enliser ! C’est bien ce que je disais… une préoccupation qui me complique l’existence… Dites-moi Melle Cerise, que feriez-vous à ma place ?

 

-       Melle Cerise : Ah çà, Mr Smotte, je n’irai pas par quatre chemins car je sais très exactement ce qui vous aiderait à trouver la solution la plus acceptable.

 

-       Mr Smotte : C’est curieux comme il est toujours plus facile de savoir ce que l’on ferait à une place différente de la sienne…

 

-       Melle Cerise : Il y a probablement moins de parasites à la place d’une pauvre épicière sans prétention qu’à celle d’un politicien connu et soucieux du qu’en dira-t-on.

 

-       Mr Smotte : Possible, possible… Mais si vous faisiez de la politique, même au plus bas de l’échelle, vous comprendriez vite qu’avant de prendre une décision, il faut tenir compte d’innombrables petits aléas qui compliquent ce qui paraît simple au regard du novice.

 

-       Melle Cerise : Vous y êtes presque Mr Smotte, tout est là… vous la tenez votre solution !

 

-       Mr Smotte : Je la tiens, je la tiens…

 

Et là, un bruit se fait entendre. Monsieur Smotte sursaute, et s’affale sur une des deux chaises de l’unique table installée discrètement à l’intérieur de l’épicerie, pour Melle Cerise se reposer de temps en temps.

-       Melle Cerise : Allons Monsieur Smotte, voulez-vous que je vous presse une orange ? Avez-vous seulement pris un petit déjeuner ce matin ?

 

-       Mr Smotte : Ah, Melle Cerise, que dites-vous ? Je n’ai pas le temps moi. Je m’occupe d’affaires sérieuses…

 

Un second bruit se fait entendre. Monsieur Smotte blêmit.

-       Melle Cerise : Mais enfin, Monsieur Smotte, que se passe-t-il aujourd’hui? Ce n’est qu’un bruit de camion. Il manque quelques pavés sur la route et à chaque fois qu’un véhicule passe sur le dénivelé, on entend ce bruit. Vous le savez quand même bien, depuis le temps que vous vivez dans notre villeke.

 

-       Mr Smotte : Oui, Melle Cerise, je le sais mais aujourd’hui c’est différent. Je me sens tout chose, je me sens mal, j’ai des palpitations, des sueurs froides, je me sens oppressé, je me sens faible, anéanti, sans force. Regardez, pour un rien je tremblerais…

 

-       Melle Cerise : Je vois, je vois…

 

-       Mr Smotte : Vous ne voyez rien du tout. J’ai dit « pour un rien »…

 

-       Melle Cerise : Un rien comme un bruit de camion suffit amplement… Tenez, voilà un jus d’orange …

 

-       Mr Smotte : Merci Melle Cerise, … Ah que vais-je devenir. Voilà qu’il me prend des crampes à présent…

 

-       Melle Cerise : Décidément, ce n’est pas votre jour. Si j’avais su, je vous aurais offert un jus de carottes…

 

A ce moment, un client inconnu se présente à l’étal. Monsieur Smotte, fonce à l’arrière boutique sans demander son reste, pendant que Melle Cerise apostrophe le nouveau venu.

 

- Melle Cerise : Bonjour Monsieur, que puis-je pour vous ?

 

- Mr Desmarties : Non, non, pas Monsieur Quepuijpourvou. C’est mon cousin, il me ressemble un peu (quand on ne nous voit pas ensemble) Moi, c’est …Desmarties.

 

- Melle Cerise : Voilà, voilà. On ne nous en demande plus guère…

 

- Mr Desmarties : Mais de quoi s’agit-il ?

 

- Melle Cerise : Des smarties, Monsieur.

 

- Mr Desmarties : Oh, excuse me. You don’t speek French easily. I’m able to speek English, dutch, Spanish and French. What kind of language do you prefer?

 

- Melle Cerise : Oh là là, …

 

- Mr Ouksavaméné : … Qué sé passé-t-il ici maintenant? Dit en faisant irruption dans l’épicerie Monsieur Ouksavaméné.

 

- Melle Cerise : Oh, Monsieur Ouksavaméné, que je suis contente de vous voir !

 

- Mr Ouksavaméné : Ah bon ?! Mais j’éspère que cé plaisir né sé limit pas à cé matin…Melle Cerise.

 

- Melle Cerise : Non, Monsieur Ouksavaméné, rassurez-vous, je suis chaque fois contente de vous rencontrer mais ce matin, vous pourriez-me rendre un grand service…

 

- Mr Ouksavaméné : Moi, un grand servicé pour vous. Mais c’ét oun honneur ! …Que puis-je pour vous ?

 

- Melle Cerise : Non, non. Pas Quepuijpourvou, c’est son cousin,

 

- Mr Ouksavaméné : Ah… dit-il en regardant sur le comptoir, étonné

 

- Melle Cerise : Des smarties, confirme Melle Cerise

 

- Mr Ouksavaméné : Tout dé suite Melle Cerise. Jé reviens.

 

-       …

 

Et pendant que Monsieur Ouksavaméné part à la recherche de smarties qu’il croit devoir apporter à Melle Cerise, celle-ci se retrouve en présence du polyglotte inconnu.

-       Melle Cerise : Oh là là !... (puis en apparté) je savais que parler une seule langue était un handicap mais si ce Monsieur dit que je ne parle pas français, alors je suis une muette qui s’ignore …

 

-       Mr Smotte : Il est parti ? dit Monsieur Smotte à mi-voix en entrebaillant la porte, certain d’avoir entendu la porte du magasin.

 

-       Melle Cerise : Lequel ?

 

-       Mr Smotte : Desmarties.

 

-       Melle Cerise : Mais décidément ! Je n’en ai plus vendu depuis six mois … Qu’est-ce que vous avez tous ce matin ? C’est une nouvelle mode sans doute. Le délégué commercial aurait quand même pu me prévenir…Cà n’est pas correct de sa part. La prochaine fois que je le vois je lui demanderai des nouvelles moi des smarties.

 

-       Mr Desmarties : Mais comme c’est gentil !

 

-       Melle Cerise : Gentil, gentil, si vous êtes là quand il vient, vous verrez quelque chose… Mais au fait, voilà que vous comprenez mon français à présent, moi qui commençais à me croire muette…

 

-       Mr Desmarties : Mais bien sûr que je comprends le français, je suis interprète…

 

-       Melle Cerise : Pourquoi alors avoir dit tout à l’heure que je ne parlais pas français et m’avoir humiliée en parlant une langue dont je ne connais même pas le village d’origine…

 

-       Mr Desmarties : Le village d’origine… Si cela peut vous consoler, je ne connais pas non plus le village, comme vous dites, où l’anglais a été balbutié mais je vous assure qu’aujourd’hui c’est devenu une langue internationale…

 

-       Melle Cerise : Internationale … attendez, (en apparté : …inter- national, entre – les nations). J’y suis, c’est la langue qui se parle dans les villages situés sur les frontières…

 

-       Mr Desmarties : Pas seulement, Melle Cerise je crois …, mais dans les pays du monde entier sur les cinq continents.

 

-       Melle Cerise : Vive les esquimaux… dit Melle Cerise en tendant une boite de Smarties à Mr Smotte à travers l’embrasure de la porte…

 

-       Mr Desmarties : Ainsi donc, enchaîne Monsieur Desmarties, en homme qui sait faire évoluer une conversation, vous songiez à prendre de mes nouvelles auprès de votre délégué commercial...

 

-       Melle Cerise : Pas du tout… Il ne vous connaît sûrement pas d’ailleurs…

 

-       Mr Desmarties : Décidément, nous ne parlons pas le même français…

 

-       Melle Cerise : Vous n’allez pas recommencer… Puisque vous êtes interprète, interprétez mon français, ce sera plus simple pour tout le monde au lieu de critiquer mon parler…

      Vos bonbons sont sur le comptoir. Vous désirez autre chose ?

 

-       Mr Desmarties : Mais je ne vous ai pas demandé de sucreries, me semble-t-il…

 

-       Melle Cerise : Ah là vous exagérez, je suis certaine que vous m’en avez demandé…

 

-       Mr Desmarties : Mais point du tout.

 

-       Melle Cerise : J’en suis certaine.

 

-       Mr Desmarties : Vous vous égarez…

 

A ce moment, Monsieur Ouksavaméné revient du centre commercial voisin avec un colis de smarties, en lançant à la cantonnade :

 

- Mr Ouksavaméné : Des smarties, qui veut des smarties ?

 

- Mr Desmarties : Non mais Monsieur, je ne suis pas un objet de vente et ne fait l’objet d’aucune enquête policière. Cessez donc de crier mon nom comme si vous cherchiez à rassembler tous ceux qui voudraient ma peau…

 

- Melle Cerise : Ca y est, j’y suis, dit Melle Cerise en pouffant de rire. Excusez mon fidèle ami, Monsieur Ouksavaméné, … Merci mon ami, mais ce n’est pas pour aller chercher des smarties que je souhaitais votre aide. Il m’en restait juste deux boîtes et d’ailleurs ce Monsieur ne connaît point cet article et n’en désire pas. N’est-ce pas Monsieur Desmarties, si j’ai fini par bien comprendre…

 

- Mr Desmarties : Exactly ! Si vous souhaitez une deuxième rectification, c’est précisément parce que vous avez prononcé Desmarties Monsieur plutôt que Monsieur Desmarties que j’ai cru que vous ne parliez pas français.

 

- Melle Cerise : Et ce Monsieur s’étant mis à me parler une langue inconnue, je souhaitais votre aide, cher ami, car je sais que vous avez beaucoup voyagé et que vous parlez plusieurs langues.

 

-       Mr Ouksavaméné : C’ét exact, jé parlé même des langues qui sé parlent sur différents continents...

 

-       Melle Cerise : Oh mais j’y pense …

 

Réalisant soudain que Monsieur Smotte ne souhaitait probablement pas davantage de bonbons que Monsieur Desmarties lui-même, Melle Cerise se dirige vers l’arrière boutique et chuchote :

-       Melle Cerise : Il est toujours là.

 

-       Mr Smotte : Que veut-il ?

 

-       Melle Cerise : Je l’ignore encore.

 

-       Mr Smotte : Surtout ne lui dites pas que je suis ici !

 

-       Melle Cerise : …   (En apparté : quelle journée, quelle journée….) Que puis-je pour vous, Monsieur Desmarties ? dit Melle Cerise en rejoignant son potentiel client.

-       Mr Desmarties : A vrai dire, je souhaitais, en entrant chez vous, obtenir un petit renseignement. Les épicières sont au courant de tout, c’est bien connu…

 

-       Melle Cerise : De tout, c’est trop flatteur pour être vrai… Mais vous avez de la chance car mon ami ici présent, est mon meilleur informateur. Quel renseignement souhaitez-vous ?

 

-       Mr Desmarties : Il doit y avoir, cet après-midi, une manifestation, n’est-ce pas ?

 

-       Melle Cerise : En effet.

 

-       Mr Desmarties : Connaissez-vous l’itinéraire qui sera emprunté ?

 

-       Melle Cerise : En voilà une question, l’itinéraire habituel.

 

-       Mr Desmarties : C’est-à-dire ?

 

-       Melle Cerise : Vous voulez manifester ou vous êtes journaliste ?

 

-       Mr Desmarties : Ni l’un, ni l’autre ! Je suis un illustre inconnu qui envisage de se lancer dans la politique et je veux rencontrer les manifestants pour savoir ce qu’ils ont exactement sur le cœur. Je veux leur parler et les entendre de vive voix. Toutes leurs revendications ne seront sans doute pas  réalisables mais si des personnes dont le métier est le dévouement, par essence même, et qui exercent un métier intellectuel, en arrive à cesser leurs activités pour descendre dans la rue, c’est que certainement  quelque chose d’inacceptable a du se produire ou qu’une limite inadmissible s’est retrouvée franchie ! Sûrement, ont-ils vu leur projet humanitaire devenir subitement ou progressivement irréalisable… sinon les intellos, la rue, les pancartes, les cris, ce n’est pas leur genre…D’ailleurs le ministre en place le sait, il doit se dire qu’ils se lasseront vite, et qu’en braves humanistes, ils reprendront bientôt le boulot… Qu’ils aient obtenu gain de cause ou pas, les urgences seront assurées, les soins prodigués…Tout au plus les innocents devront-ils faire montre d’un peu plus de patience pour avoir leur tour. Mais ils l’auront, ils le savent et les pauvres médecins s’en voudraient de ne pas leur porter secours…Alors, dans ces conditions, qu’est-ce qui pourrait bien motiver les politiciens en place à dégager des fonds pour…

 

-       Mr Ouksavaméné et Melle Cerise : Bravo ! Bravo ! applaudissent Mr Ouksavaméné et Melle Cerise.

 

-       Mr Ouksavaméné : Bravo, Missié Desmarties. Ravi dé vous connaître Pour sûr, je vote pour quelqu’un comme vous aux prochaines élections.

 

-       Melle Cerise : Et comment ! Puisse le ministre actuel vous avoir entendu… et en prendre de la graine, dit Melle Cerise en élevant la voix à l’intention de Mr Smotte.

Venez, je vais vous conduire à un endroit stratégique, au rond point de la rue Chocolat !

 

ACTE II

-        Plus- de sé-curi-té ! Trait-m’ents choi-sis par-les méd-cins !  …entend-t-on dès 13 heures  aux abords du rond-point de la rue Chocolat. (On entend la cloche sonner 13h) Quelques individus munis de calicots échauffent les premiers arrivés en tournant autour du rond point et en scandant leurs slogans à qui veut les entendre. Profitant du calme relatif, Mr Desmarties s’approche.

 

-       Mr Desmarties : Vous êtes médecin ?

 

-       Médecin 1 : Oui Monsieur et syndicaliste en plus. Nous sommes un peu en avance mais nos confrères ne vont pas tarder à nous rejoindre.

 

-       Mr Desmarties : Espérez-vous obtenir quelque chose des personnes élues lors des dernières élections ?

 

-       Médecin 2 : Nous obtiendrons au moins le mérite d’avoir essayé !

 

-       Mr Desmarties : Certes, mais vous nourrissez certainement d’autres objectifs…

 

-       Médecin 2 : Oui, par exemple, sensibiliser la population à l’aberration du système en place. Ainsi il suffit d’avoir été mandaté, certes à plus d’une reprise, pour être assuré de gagner son pain le restant de ses jours. Il suffit d’appartenir à la classe politique pour être escorté dès lors que vous vous rendez dans des quartiers déjà eux-mêmes sous surveillance et parfaitement éclairés.  A l’autre extrême, n’importe quel ouvrier qui revisse un robinet peut vous facturer ce qu’il veut, avec le prix du déplacement en supplément et celui-ci vous coûtera bien plus que le prix d’une visite chez le médecin, sans inclure de ticket modérateur…Personne ne rechigne et tout le monde s’incline car la force physique d’un ouvrier inspire davantage de crainte que la vulnérabilité évidente de la gente médicale. J’en parle à cœur ouvert car nombre de mes amis appartiennent à la classe ouvrière, de même que nombre de mes patients. Ce sont de braves gens pour la plupart mais il s’est produit un retournement dans la société. Actuellement, sauver une vie, se déplacer par tous les temps pour porter assistance à de très nombreux malades à travers des rues parfois encombrées, souvent mal éclairées, mal indiquées, de jour comme de nuit, est devenu un dû qui devrait pour certains être gratuit. Réparer un sèche-linge ou un téléviseur sont devenues des performances de luxe et ce faisant autrement mieux considérées...

 

Progressivement, quelques médecins supplémentaires arrivent. Les passants ne semblent pas s’intéresser à eux.

Mr Desmarties s’en étonne et s’approche d’un passant.

 

-       Mr Desmarties : Pardon Monsieur, Excuse me Sir, parlez-vous français, do you speak french ?

 

-        Badaud british : Yes of course, je parle français, répond le passant ordinaire avec un accent britannique.

-       Mr Desmarties : Que pensez-vous de la manifestation d’aujourd’hui ?

 

-       Badaud british : Une manifestation ? Je ne suis pas informé, je suis un touriste qui découvre votre pays la Belgique. Je suis venu en reconnaissance pour ma femme qui est très malade. La Belgique est le meilleur endroit pour se faire soigner dans toute l’Europe, n’est-ce pas ?

 

-       Mr Desmarties : Si vous le dites, Monsieur…

 

-       Badaud british : Oui, certainement, vous avez atteint une apogée… mais je suis indécis, poursuit le touriste britannique, car le médecin que je suis allé voir était en grève… J’ai beaucoup insisté pour lui parler vu le long voyage que j’avais fait pour cela,…

 

-       Mr Desmarties : Il ne vous a pas reçu ?

 

-       Badaud british : Si, bien au contraire, nous avons bavardé un long moment …

 

-       Mr Desmarties : Ça ne m’étonne pas ! (en apparté) Ils se feront toujours avoir ! Dévoués comme pas deux ces braves petits généralistes belges. De cette façon, qui les écoutera ? Même en grève, ils  assurent leur boulot… Sans indiscrétion, vous a-t-il convaincu de venir faire soigner votre femme en Belgique ?

 

-       Badaud british : A vrai dire,… je ne suis pas convaincu que ce soit une bonne idée. La médecine a atteint une apogée du temps où les médecins, les chercheurs, les scientifiques ont pu prendre décisions de traiter sur base des connaissances acquises par de longues années de recherche, d’études et de pratiques… Mais aujourd’hui, il semble que les décisions sont prises par un économiste qui n’a pas encore effectué ne fût-ce que la semaine de propédeutique organisée par la faculté de médecine, n’est-ce pas, pour les étudiants de rhétoriques. Beaucoup de vaillants étudiants, brillants, très brillants jusqu’à leur entrée à l’université, ne réussissent pas la 1ère année d’étude dans cette discipline, même après plusieurs tentatives, et même si, par la suite, ils seront à nouveau brillant dans une autre discipline que celle-là. Je suis Britannique mais je sais cela. C’est ainsi dans tous les « countries ». La médecine est un art. Il faut beaucoup d’efforts, beaucoup de volonté et beaucoup de persévérance pour la pratiquer. Mais aussi doué que l’on puisse être en économie, on ne peut pas soigner quelqu’un avec une calculatrice à la place du cœur ! Non Monsieur, je ne ferai pas soigner ma femme ici, …

 

-       Mr Desmarties : Merci pour votre franchise, cher Monsieur.

-       …

-       Mr Desmarties : Madame, madame, que pensez-vous de la manifestation ?

 

-       Badaud villageoise : C’est une honte ! Faire grève quand on est médecin, mais où va-t-on dites-moi ?  Mon grand-père disait toujours « La médecine n’est pas une simple vocation. C’est un sacerdoce ! » Actuellement, les médecins parlent plus de leurs problèmes qu’ils n’écoutent les nôtres…

 

-       Mr Desmarties : Ne pensez-vous pas que cela signe un véritable ras-le-bol de leur part ?

 

-       Badaud villageoise : Qu’ils changent de métier ! Un médecin, ça doit soigner un point c’est tout sinon ce n’est pas un médecin…

 

-       Médecin 3 : Et là Madame, intervient un 3e médecin qui vient de rejoindre la manifestation, je ne vous permets pas de nous appeler « ça », de nous chosifier, car c’est bien là tout le problème, les médecins ne sont plus respectés en tant qu’être humain, en tant que personne. Leur dévouement a fini par les anéantir. Leur abnégation est devenue si forte que leur existence propre s’en retrouve niée. Les médecins sont en train de se noyer et leurs protestations actuelles sont comme une main encore visible à la surface de l’eau. Mais il serait plus commode pour beaucoup que cette main ne soit plus visible, que leur appel à l’aide ne soit plus à entendre, comme cela vous pourrez poursuivre votre petite vie tranquille jusqu’au jour où l’un des vôtres sera malade, je veux dire vraiment malade…

 

-       Badaud villageoise : Je suis malade, je reviens du médecin, il fait grève. C’est une honte de prendre les patients en otage de la sorte…

 

-       Mr Desmarties : Dans ce cas, pourquoi ne pas manifester avec eux ? Une couturière pourrait-elle coudre sans fil ? Un peintre peindre sans couleur, un chanteur chanter sans voix, un conducteur conduire sans véhicule, un boulanger travailler sans farine ??? Qu’ont donc fait les médecins pour être la cible même des personnes dont ils défendent les intérêts en manifestant… ?

 

-       Badaud villageoise : Parce qu’ils défendent nos intérêts peut-être ?

 

-       Médecin 3 : Mais bien sûr chère Madame, intervient un médecin, si nous nous faisons agresser en venant chez vous la nuit, par exemple pour un enfant qui a 40° de fièvre, ou un malade qui fait un infarctus. Monsieur Smotte aura beau être à nos yeux coupable de non assistance à personne en danger, il aura beau bénéficier d’une très probable immunité, cela ne soignera ni l’infarctus, ni la fièvre, ni l’homme ni l’enfant, ni le médecin…

 

-       Médecin 2 : Si nous ne pouvons plus prescrire que des copies de médicaments,  le plagiat prendra le dessus sur l’invention. D’ailleurs, c’est très à la mode. Les auteurs vous le diront : avec la médiation internet, les droits d’auteurs sont très menacés et cela dans tous les secteurs. Sans compter, qu’une copie ne sera jamais qu’une copie comme une recette de cuisine n’est jamais qu’une recette. Il n’empêche que le résultat final est tributaire de nombreuses variantes…

 

-       Médecin 3ou4 : Si les non-médecins prennent les commandes de la pratique médicale, autant laisser les fleuristes dire aux architectes comment ils doivent construire les ponts ou les tunnels, mais soyez certaine, que si nous ne pouvons plus soigner en âme et conscience, si les connaissances acquises au fil de nos études et de notre pratique ne sont plus que du vent, alors la médecine entamera sa phase de déclin, et la recherche entrera en stand-by jusqu’à ce qu’un ministre, peut-être moins calculateur mais plus lucide quant aux limites des compétences de chacun, prenne les choses en main…

 

-       Badaud villageoise : Et vous le connaissez ce ministre- là, que je vote pour lui ?

 

-       Médecin 1, 2, 3, 4 : …non…

 

-       Mr Desmarties : Si je le connais, Madame ?,… intervient Mr Desmarties, ce n’est pas encore les élections…mais j’en connais un qui se prépare en douce…Il se fera connaître en son temps…

 

-        « Plus- de sé-curi-té ! Libre- choix de- nos trait-ments ! » continuent de scander les manifestants à l’indifférence générale de tous à l’exception d’un petit individu vêtu de noir et muni d’un appareil photographique qui n’a pas perdu un mot de toutes ces conversations.

ACTE III.

Il est 18 heures. A la radio on entend le jingle du journal.

« Madame, Monsieur Bonsoir. Mieux valait être bien portant aujourd’hui. Les médecins généralistes étaient en grève. Reportage… » Melle Cerise éteint sa radio car elle aperçoit Monsieur Smotte qui repasse par la petite épicerie pour y acheter le dernier quotidien avant de rentrer chez lui.

 

-       Melle Cerise : Alors Monsieur Smotte, questionne Melle Cerise, vous sentez-vous mieux ce soir ?

 

-       Mr Smotte : Mieux, mieux, maugrée Mr Smotte,

 

-       Mr Smotte : Pour une fois que je me sens mal, les médecins sont en grève… Je les retiens ceux-là…

 

-       Melle Cerise : Et là doucement, Monsieur Smotte, s’ils étaient en grève, c’est quand même votre faute après tout, vrai ou pas ?

 

-       Mr Smotte : Ne jouez pas à ce jeu avec moi, Melle Cerise. Mon journal s’il vous plait.

 

-       Melle Cerise : Le colis ne devrait plus tarder… Un café en attendant ?

 

-       Mr Smotte : Va pour un café.

 

-       Melle Cerise : Et puis, vous n’avez pas besoin d’un médecin. C’est vous qui leur dites comment ils doivent faire…

 

-       Mr Smotte : Oui, oui, mais pour soi c’est différent.

 

-       Melle Cerise : Ah bon… Mais pourquoi vous leur en voulez à ces braves ? Ce n’est quand même pas leur faute si les médicaments sont chers et puis ça ne leur rapporte pas un euro de plus de prescrire un médicament onéreux, que du contraire, ils reçoivent des amendes. Retirez donc du marché ce qui ne peut plus être prescrit au lieu de leur compliquer la vie…

 

-       Mr Smotte : Non, dans certains cas c’est nécessaire, il y a parfois de subtiles différences me dit mon médecin… Moi par exemple, je présente un effet secondaire avec la copie d’un médicament que je ne présente pas avec l’original…

 

-       Melle Cerise : Ah, vous voyez bien…

 

-       Mr Smotte : Oui, mais c’est très rare…et puis si mon médecin le dit…

 

-       Melle Cerise : Je vois, je vois…

 

A ce moment, entre Monsieur Ouksavaméné, muni du colis de journaux. En première page, une grande photo du rond point chocolat avec bien en évidence Le médecin au calicot et Mr Desmarties.

Mr Smotte : Ah, mon cœur, mon cœur… ce visage me rend fou.

 

- Melle Cerise : Je vois, je vois,…

 

-       Mr Smotte : Jamais je ne laisserai cet individu me voler ma place…

 

-       Mr Desmarties : Vous voler votre place… Mais quelle surprise Mr Smotte… dit Mr Desmarties qui était entré dans l’épicerie sans que personne ne s’en aperçoive.

-       Mr Desmarties : Alors comme ça, nous faisons la première page. Je ne puis que vous remercier de m’avoir introduit sur le devant de la scène d’une façon aussi inattendue...

 

Inutile de préciser qu’à ce moment précis, Monsieur Smotte desserre son nœud de cravate et ressent de nouvelles palpitations.

-       Mr Smotte : J’étouffe. Allez chercher un médecin, vite…

 

-       Mr Desmarties : Un médecin, mais voyons, Monsieur Smotte, vous n’ignorez pas qu’ils sont en grève !

 

-       Mr Smotte : En grève ou pas, ils me soigneront. Je les connais.

 

-       Melle Cerise : Moi aussi, je les connais. Et de toute évidence, vous savez bien que ce sont de braves gens. La différence entre vous et moi, c’est que vous abusez de leur dévouement…

 

-       Mr Smotte : Abuser, abuser… Quand vous pratiquerez la politique au lieu de la rêver, vous verrez que tout n’est pas si simple…

 

-       Melle Cerise : Mais je n’en doute pas… Vous êtes vous déjà demandé, ne fût-ce qu’une toute petite fois, s’il n’en allait pas de même pour la médecine ?

 

-       Mr Smotte : Que voulez-vous dire ?

 

-       Mr Desmarties : Nul ne peut réduire la médecine à une science exacte, Monsieur Smotte, pas plus que votre politique, pas plus que le cinéma, le théâtre, la musique ou la peinture, pas plus que la cuisine, la couture, la menuiserie ou tant d’autres choses encore. Si vous réduisez l’art à un tableau de comptabilité, si vous réduisez ceux qui pratiquent cet art à des exécutants de consignes données par quelqu’un qui n’a même pas appris le béaba de cet art, comment accomplirez-vous la mission qui est la vôtre ?

 

-       Mr Smotte : Non mais calmez-vous, inscrivez-vous en fac de médecine si vous voulez et laissez les économistes équilibrer les budgets…

 

-       Mr Desmarties : Non Monsieur Smotte, je ne suis pas capable d’être médecin, mais c’est parce que j’en suis conscient et parce que je me connais d’autres qualités que n’ont peut-être pas la majorité des médecins, parce que je respecte cette différence et que je m’y appuie, que j’espère un jour mériter d’être à votre place. Certes, vous avez un budget à équilibrer mais il doit exister d’autres procédures que de sanctionner les médecins généralistes qui consacrent leur vie à veiller sur celle des autres, qui proposent, en âme et conscience, à chacun de leurs patients ce que l’état actuel de la science peut offrir de meilleur ! N’oubliez pas qu’ils n’ont pas leurs patients sous surveillance comme dans les hôpitaux, qu’ils doivent être compétant dans tous les secteurs de la médecine, que même lorsqu’ils sollicitent les spécialistes, ceux-ci leur laissent souvent le choix de décider du traitement in fine vu les multiples pathologies du patient, le traitement à instaurer par le spécialiste A étant contre-indiqué par l’affection concomitante relevant du spécialiste B, et le traitement de la maladie C étant contre-indiqué pour l’affection A, je vous laisse juge du choix du traitement, etcetera, etcetera…

 

-       Mr Smotte : Non mais, non mais, d’où sortez-vous toutes ces informations ? Vous parlez comme un des leurs…

 

-       Mr Desmarties : Comme un des leurs… Mais vous devriez vous-même être l’un des leurs. Dans une équipe de football, Monsieur Smotte, il n’y a qu’un seul gardien (et son remplaçant bien sûr) mais il y a onze joueurs sur le terrain. Ils ont chacun un rôle différent à jouer, ils occupent tous une place différente, mais pour gagner, ils doivent jouer ensemble, remplir à fond le rôle qui est le leur et ne pas se prendre pour le gardien quand ils sont avant gauche !... Par définition, le ministre de la santé doit se sentir dans l’équipe responsable des soins de santé…c’est une évidence !

 

-       Mr Smotte : …et vous voulez être le remplaçant, je sais…

 

-       Melle Cerise : Allons, allons, lisez plutôt ce qui est écrit en première page, intervient Melle Cerise.

 

-       « Le futur ministre de la santé se prépare ! » peut-on lire en guise de titre d’un article intérieur.

 

-       Mr Smotte : Vous n’avez pas perdu votre temps à ce que je vois, grogne Monsieur Smotte.

 

-       Mr Desmarties : En effet,… mais je ne crois pas être égocentrique. Si vous le souhaitiez, nous pourrions travailler ensemble. Vous êtes dans une impasse, avouez-le. Ce qu’il vous faut c’est un regard nouveau. Une approche différente du problème. Laissez un peu vos colonnes de chiffres pour regarder l’objectif à atteindre en termes de soins de santé sur le terrain d’abord, avec quel budget ensuite…pas le contraire, … ! Apprenez-moi l’ABC du monde politique, et je vous servirai de médiateur car je crains fort que pour le moment vous ne parliez pas la même langue que vos interlocuteurs…

 

-       Melle Cerise : Et comme vous êtes interprète, intervient Melle Cerise…

 

-       Mr Smotte : Vous pourriez leur traduire ce que je dis ? et traduire en chiffres ce qu’ils me disent ?

 

-       Mr Desmarties : C’est à peu près çà, effectivement. Les médecins parlent une langue faites de dialogues, et vous parlez la langue des chiffres. Si vous êtes d’accord, nous travaillerons ensemble.

 

-       Mr Smotte : Vous accepteriez d’être mon collaborateur interprète médiateur et moi je garderais mon mandat… C’est louche… Où voulez-vous en venir ?

 

-       Mr Desmarties : Nous ferons de toutes nouvelles grilles de calcul, nous inventerons une nouvelle approche de la question, Nous distinguerons les coûts inhérents au diagnostic de ceux inhérents à la prise en charge. Nous prouverons aux médecins que nous ne sommes pas leurs ennemis et lorsque nous aurons rétabli un climat de confiance, …

 

-       Mr Ouksavaméné et Melle Cerise : …ils voteront pour vous !

 

-       Mr Desmarties : C’est fort possible et tant mieux si tel est le cas mais surtout nous aurons accompli notre mission et mérité la confiance de nos électeurs. La politique comme la médecine est un métier de service et dans les deux cas, cette dimension est trop souvent niée. Le manque de respect comme le manque d’oxygène est source d’asphyxie. Revaloriser la médecine, c’est indirectement revaloriser des valeurs hautement morales, c’est autoriser à croire qu’il faut garder le cap vers son idéal même si celui-ci se doit d’être inaccessible par essence même, c’est redonner à chacun le droit de croire que son bien-être physique, mental et social est réellement le souhait  de la société dans laquelle il vit, c’est permettre aux enfants de grandir dans un monde où l’argent n’est pas roi mais est au service de nobles actions, aux personnes en déclins de croire qu’elles ont une place dans nos cœurs et comptent pour nous, aux personnes actives de croire qu’on est à leurs côtés pour les aider à mener à bien la tâche qui est la leur, revaloriser la médecine c’est une façon de changer le visage du monde, … Ce fût le rêve de beaucoup, ce sera la réalisation de quelques uns, tâchons d’être de ceux-là !

Fin

Commentaires

09.02 | 17:13

Chère Christel, je n'oublierai jamais la plus belle "1ère communion" que j'ai ...

16.01 | 09:24

Qu'il serait beau de transmettre un monde meilleur que celui qu...

17.02 | 13:27

Bonjour. C'est un vieux souvenir dont je vais vous parler. J'ai numérisé l...

18.02 | 23:48

Bonsoir, j'aimerais savoir si votre invention est en vente ; auquel cas, elle m'inté...